C'EST

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J'ai eu envie d'écrire cet article à la suite de celui sur la générosite

La réflexion autour de "être généreux" s'est polarisée sur "généreux" et a oublié l'autre terme: "ETRE" 

ETRE OU NE PAS ETRE

Lorsqu'on dit que la Terre EST ronde, on prononce un énoncé partagé par tellement de gens qu'on peut le considérer comme une vérité. Lorsqu'on dit que la lionne EST la femelle du lion, le consensus est encore plus grand. Le verbe être nous conduit au pays de le certitude, de l'assurance, de l'indiscutable. Ce verbe dit ce qui est: il dit le vrai!.   

Reprenons l'exemple "être généreux".

Il y a dans cette phrase quelque chose d'absolu, de définitif. De la même manière que la Terre EST ronde, "untel EST généreux." point!. Il n'y a pas à discuter .

Ou bien, il ne l'est pas, ou bien pas beaucoup, ou encore pas assez. Dans chacun de ces cas, il n'y a pas à discuter non plus. Chacun est juste et vrai. Aisnsi, cet absolu devient soudain relatif: untel, qui EST ceci ou cela, peut être également pas assez ceci ou trop cela en référence à une échelle de valeurs, à une séries de critères. Ce référentiel est implicite pour celui qui parle. Il va tellement de soi qu'il n'est pas besoin de le mentionner, ni même de le questionner. Il n'est tout bonnement pas conscient, pas explicite. Si nous partageons le même implicite, nous serons tous les deux dans une forme de vérité évidente qui nous rapproche. Il sera transparent. Sinon, d'âpres discussions, proches du dialogue de sourds  peuvent s'engager.

Demandons ce qu'ils pensent de la corrida à un torero, à un végétarien, à un taureau, à un cheval dans l'arène, à un spectateur passionné, à un bouddhiste. Chacun aura sa panoplie de "EST" pour dire ce qu'IL pense de la corrida, vue à travers SON propre référentiel implicite. 

La formulation "ceci est..." en apparence définitive ne parle au bout du compte que de ma façon de voir le monde. Plus je l'exprimerai dans une communauté qui partage mes valeurs, plus elle prendra du poids. L'absence de controverse lui donnera un goût d'Absolu, de Vérité. (que je sois pro ou anti corrida, je vais me conforter au contact de ceux qui pensent comme moi). Et du même coup, la communauté sera renforcée. On parle de réalité intersubjective: une forme de vision de réel forgée par le sujet (donc, subjective) et partagée par des pairs.

Grâce à ces "est" je vais construire autour de moi un monde solide et stable, voire manichéen! Savoir ce qui "est" réduit l'ignorance, l'inquiétude de l'inconnu. Savoir ce qui "est" et ce qui n'"est pas" amène de la sécurité. Ce que je perds en nuances, je le gagne en clarté: lorsque je définis une chose en disant ce qu'elle est, je sais ce qu'elle n'est pas.  La corrida ne peut pas être à la fois une boucherie ET un spectacle noble. Elle est l'un et n'est pas l'autre . Ce "est" asséné renforce la communauté qui le partage et exclut ceux qui sont en désaccord. Au pire, ceux qui ne sont pas avec moi seront contre moi.

Cette sécurité me fait perdre de vue que l'inconnu, même s'il est a priori inquiétant, est la seule voie pour aller vers la connaissance. En m'ouvrant à ce que je ne sais pas, je peux savoir!

 

JE PENSE ET JE SUIS

Chaque fois que je dis qu'une chose "est" j'indique simplement comment je la perçois, comment je la pense. Dire que la corrida est une boucherie ou qu'elle est la la rencontre de deux formes de courage ne devrait engager que moi (à mes yeux, la corrida est ceci ou cela). Dans l'absolu, je n'ai même pas à avoir besoin que ma vision soit partagée. J'ai par contre besoin qu'elle soit accueillie par mon interlocuteur, besoin qu'il prenne acte avant de prendre position. Cette étape est bien souvent ignorée. Lorsque j'expose mon point de vue sur la corrida, en disant : "la corrida est ceci", la réponse pourra être "Mais non, enfin. La corrida c'est cela!!".

En communicant avec autrui, j'ai l'espoir d'établir une relation avec lui. Elle peut être de nature variée (partage, séduction, domination, conflit, proximité....). Malheureusement, les occasions sont nombreuses de confondre l'accueil de mon opinion et son acceptation. Faudrait-il donc que mon opinion soit forcément partagée, admise par l'autre  pour que j'aie, moi, la sensation d'être entendu? Puis-je continuer à exister si ce que je pense n'a pas la possibilité d'occuper autant de place que je  le souhaite? Autrement dit, ne suis-je ce que ce que je pense?

 

 TU PENSES ET JE (te) SUIS

Si mon opinion n'est pas accueillie, puis-je je être en mesure d'accueillir moi-même l'autre dans son non-accueil? S'il a un positionnement marqué que je ne partage pas, est-il possible d'entendre que le "c'est" de l'autre m'indique juste l'endroit où il est? Et moi, qu'est-ce que j'entends au fond? Est-il possible de noter au travers de quels filtres personnels je perçois ce qui m'est dit (voire celui qui le dit)? Est-il possible de sentir ce que j'entends vraiment lorsque celui qui me parle m'explique que la Terre est ronde, ou plate, ou ovale...? Quelle émotions, quelle sensation corporelle, quelle pensée est à l'oeuvrfe lorsque je reçois une information que je ne partage pas ou lorsque de mon propos n'est pas accueilli?

S'il y a de la clarté, alors, la relation peut se poursuivre. Sinon, l'un et l'autre peuvent ne pas avoir les ressources suffisantes, et un dialogue de sourds est prêt à s'installer!

 

Tu m'assènes ta vérité

Je peux entendre quelqu'un qui cherche à me convaincre, à disqualifier ma position pour préserver la sienne. La Terre EST comme ceci, et elle ne peut être comme cela. Je peux voir qu'il n'y a pas d'espace pour ma  croyance, ma position au sein de son raisonnement. Je peux ne voir que cela, et réagir en conséquence : imaginer que ma croyance, ma position n'a pas la possibilité d'exister simplement.

  • Je peux me laisser convaincre et adopter avec une plus ou moins grande sincérité le nouveau point de vue. C'est une forme de soumission;
  • Je peux adopter une position opposée à la sienne, chercher à avoir raison contre lui. Les ingrédients de l'affrontement sont prêts

Tu penses et tu es, je pense et je suis

Un terrain de rencontre existe néanmoins dans la conscience que chacun parle de lui; parle pour lui. Et parle avant tout pour être entendu! (sinon, autant parler tout seul ou se taire!!)

En redonnant au "c'est"  sa valeur relative, je sors d'une dualité qui voudrait que les choses soient ceci OU celà. Je quitte un affrontement d'où seul le plus fort, le plus convaincu, le plus convaincant sortira gagnant. Je peux entrer dans un monde où le "ET" est possible, un monde du OUI. Oui, pour toi, la corrida est ceci. J'en prends acte, et pour moi, elle est cela".  Aucun de nous n'est nié. Aucun de nous ne détient l'absolue vérité non plus. Nous avons tous les deux l'espace d'exister car la croyance que nous avos choisie fait du sens pour nous. Et elle n'est pas immuable.

 

 

RELATIVISER

Le "poison" du verbe être est son apparence d'absolu, sa tentation d'accéder à l'universalité, sa posture de sachant.

Comment désamorcer ces pièges?

 En se positionnant

Si je mets du "je" dans ma phrase, alors, j'indique explicitement que je parle de moi, ou à minima, depuis chez moi. Dire "je pense", "je crois"," je trouve"... n'engage que moi. "Je pense que la Terre est plate" n'a pas la même valeur que "la Terre est plate". En me positionnant, je dis ce qui est vrai pour moi, alors que la seconde phrase semble énoncer une vérité. Encore faut-il que l'intention soit en accord avec les mots...

En questionnnant

Lorsque je m'adresse à quelqu'un que je trouve, par exemple, en colère, je peux lui dire "Tu es en colère" auquel cas, je sais pour lui. Je peux aussi lui demander "Est-ce que tu es en colère?" Je quitte alors la posture de celui qui sait pour l'autre. je lui laisse de l'espace pour qu'il sache dire lui-même s'il est en colère ou non. Et il se peut qu'il ne le soit pas, mais qu'il soit fatigué, tracassé...

En validant

Reconnaître le positionnement de l'autre, lui dire non pas qu'il a tort ou raison, mais juste qu'il est entendu lui offre un espace où il peut exister entièrement, sans avoir besoin de me "convertir". Dans un deuxième temps, et seulement s'il le souhaite, je pourrrais lui indiquer mon point de vue.

JOUER

Et si vous essayiez pendant quelques phrases, de contourner le verbe être...

 

 

 

 

 Pour toute information complémentaire, contactez-nous par email à : mham@duck.com

 Crédit photo: Dominique ROQUES

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